La démarche

Jean-Claude Bertrand

 Une aventure picturale au coeur de nos mémoires sensorielles…

Tout môme Jean-Claude Bertrand disait à sa maman : « quand je serai grand je serai peintre… ».

Pour lui, peintre, n’est pas un « travail » ordinaire. C’est une véritable nécessité intime, nécessité de créer, de partager, de léguer, de laisser trace de sa façon d’appréhender le monde en général et l’art en particulier… c’est un engagement !

L’acte de peindre est pour lui vecteur de sens : exposer ses œuvres au regard de l’autre, à sa perception, à son interprétation, c’est souhaiter qu’il s’y plonge à son tour, qu’il les apprivoise, cherche à les comprendre, qu’il en reçoive quelque chose et qu’il s’en nourrice…

Depuis sa sortie des Beaux-Arts, il a peint essentiellement de manière non figurative pour s’échapper de toute image stockée dans sa mémoire cognitive. Ceci n’exclut pas qu’il prenne des milliers de clichés photographiques qu’il archive dans ma mémoire sensorielle : un détail d’une matière, une harmonie singulière de couleurs, un mouvement, une lumière particulière, un cadrage original d’un sujet…. et qui ont comme unique objectif d’enrichir sa sensibilité, son écriture et sa palette personnelle et non pas d’être une quelconque source d’inspiration.

Ce silence iconographique l’oblige à une écriture plus vraie et plus spirituelle. Son processus de création fait que, lorsqu’il souhaite exprimer et partager une perception particulière, la toile devient un véritable creuset où prennent directement corps les matières, les couleurs mises en œuvre par une gestuelle toute personnelle…  la toile se structure et devient un véritable champ d’investigation permanent où conscient, inconscient, intuition et choix personnels s’affrontent, se confrontent, se complètent jusqu’à  leur imbrication à ses yeux évidente pour traduire l’objet de sa création…  le point de finition étant ainsi décidé !

Jean-Claude Bertrand a repris cette aventure picturale, il y a une vingtaine d’années, en souhaitant, tout d’abord, traduire l’empreinte laissée par l’écoute musicale. Il a découvert l’importance des notions de temps et d’espace et a cherché à faire une synthèse d’un moment musical dans l’espace pictural, comme pour figurer la mémoire de la musique, la mémoire du son.

Soucieux d’étendre constamment le réseau de ses capteurs sensibles, cette aventure s’est poursuivie en décryptant les vibrations et émotions que nous donnent à vivre également un vin, un parfum, un signe, une trace laissée par l’homme.

En fait, chaque son, chaque couleur, chaque parfum, chaque saveur, chaque texture créent une sensation… une émotion… ils racontent leur histoire et nous renvoient à la nôtre.

Le peintre a pris conscience de mener « une aventure picturale au cœur de nos mémoires sensorielles », une recherche symbolique, une réflexion sur les rythmes, les vibrations du temps, de la vie, sur la richesse de nos sens… une véritable quête de spiritualité, du sens de l’existence, de l’éphémère du temps et …d’une envie d’éternité.

C’est pourquoi il est très sensible à cette formulation du peintre catalan Antoni Tàpies :   « Le tableau devait être une chose, un objet investi par l’artiste d’une énergie mentale, d’une sorte de charge électrique qui, touchée par un spectateur à la sensibilité appropriée, déclenche des émotions déterminées ».

Jean-Claude Bertrand introduit parfois dans ses œuvres des écritures très souvent non lisibles, signes inventés, indéchiffrables, colorés, qu’il utilise comme un matériau pictural à part entière.

La matérialité des écritures et l’expressivité d’un tracé rapide condensent un ensemble de sens non narratifs qui permet d’éclairer et de compléter la signification de l’œuvre, elle-même non figurative.

Jean-Claude Bertrand échappe ainsi au discours  convenu, propre à une culture définie, pour s’orienter vers une communication universelle. Par cette pratique, il vise à créer un contact direct, à jeter des passerelles, entre sa conscience individuelle et la conscience collective. Le lecteur quel qu’il soit, peut alors se réapproprier l’œuvre avec ses propres acquis.

Ces écritures dont les signes se touchent, s’entremêlent, rappellent souvent des  manuscrits du moyen-âge, voire des écritures égyptiennes, grecques ou encore des idéogrammes chinois. Elles évoquent ainsi les origines du langage écrit. Par le tracé gestuel de l’écriture, Jean-Claude Bertrand évoque non seulement les prémices de la communication écrite originelle mais aussi les arabesques et le phrasé des partitions musicales. A la découverte de ces écritures musicales, Jean-Claude Bertrand invite le lecteur à pénétrer dans un monde vibratoire où la spatialité joue un rôle de plus en plus prépondérant. L’espace complète alors les paramètres traditionnels du son : la hauteur, la durée, l’intensité et le timbre. Ses écritures musicales deviennent alors multidimensionnelles.

L’artiste n’est-il pas souvent un pont entre le passé et le futur … ?   L’écriture étant une traduction manuscrite voire graphique par l’homme de sa pensée, le peintre aspire ainsi à « figurer » comme en filigrane la présence de l’humain.

L’écriture garde trace des rêves, des pensées, des émotions, des craintes et des désirs des hommes. Elle contribue à l’histoire de l’humanité. Pour les Chinois, chaque trait de pinceau, animé par l’esprit, livre à l’homme l’âme de l’univers.

Toujours en quête de découvertes, Jean-Claude Bertrand a laissé petit à petit son intuition l’emmener sur des chemins inconnus, en faisant « abstraction » de toute réflexion, de toute limite, de tout interdit.

Tout dernièrement, début 2020, mettant à profit la crise du Coronavirus et le confinement, Jean-Claude Bertrand a laissé « apparaître » … ce qui devait peut-être voir le jour… comme un message ou comme la « figuration » de l’invisible, de nos pensées, de nos croyances… de notre « Être ». Il n’a surtout pas souhaité « illustrer » cette crise, mais au contraire en faire naître sur la toile l’effet ressourçant qu’elle peut générer chez chacun de nous. Effectivement cette période nous renvoie à notre histoire personnelle, à nos croyances, à notre rapport à la santé, au vieillissement, à la maladie, à la mort. Le repli sur soi devient un acte collectif. Face à soi-même, c’est le passé atavique qui ressurgit. Le virus impose la contemplation d’intériorité de l’âme…

Cette crise s’est doublée pour l’artiste d’un handicap personnel ponctuel car il devait subir une opération de l’épaule droite. Peintre optimiste, il a pensé à Antoine de Saint Exupéry qui disait : « Un pessimiste fait de ses occasions des difficultés et un optimiste fait de ses difficultés des occasions ».

Cela lui a donné l’opportunité de franchir une nouvelle étape dans sa démarche artistique. Tout d’abord, travailler surtout de la main gauche et, pourquoi pas, oser le franchissement de la frontière abstraction/figuration qui ne lui a jamais semblé évidente, craignant de contredire ses choix picturaux, de remettre totalement en question son soucis de silence iconographique, de créer des œuvres sans lien et sans fil conducteur avec ses précédentes créations… De ce lâcher-prise inhabituel ont surgi des formes, des êtres, des dieux issus de nos mémoires ancestrales… Et étonnamment, il n’a pas voulu refermer cette nouvelle fenêtre.

Cette expérience lui a ouvert l’esprit et il est convaincu que l’âme du peintre, son intégrité, restent intactes et se révèlent intimement et avec force aussi bien dans l’abstraction la plus totale que dans la « figuration de l’abstrait ». Il est non seulement rassuré mais enthousiaste à poursuivre son aventure picturale autour de nos mémoires sensorielles car, la frontière si fine entre ces deux mondes du visible et de l’invisible, ouvre a contrario à Jean-Claude Bertrand, un immense territoire d’investigations nouvelles !

En définitive, quelle que soit l’évolution de sa peinture, sa démarche artistique reste cohérente : son travail consiste toujours à créer des œuvres qui ne soient pas des « images » mais des « espaces sensibles », invitant le lecteur au questionnement, à la méditation, à dépasser le stade du visuel pour celui du spirituel, des œuvres avec lesquelles il pourra vivre, s’interroger, mûrir sa réflexion et son cheminement intérieur des années durant.